Rouage d'Oxyne (complet)

En haut, quelque chose a grincé, un ressort s'est détendu. Le sifflement caractéristique de la vapeur a bientôt été remplacé par un fracas métallique dont les échos rouillés ont voltigés à la ronde. Plus bas, le sol a tremblé, les piles de gravas se sont tassées un peu plus. Certaines se sont effondrées, révélant des trésors à demi enfouis qui feraient la joie des ferrailleurs. Un peu plus loin, une voix féminine a murmuré "Ils viennent de fermer la barrière.". Immédiatement, un timbre plus viril s'est élevé avec exubérance :

- On passe ou on se casse ! C'est ici que ça se passe les jeunes.

Il était complètement allumé ce soir. Dans tous les sens du terme. Les rayons orangés du soleil déclinant paraient son sourire de métal d'un éclat luminescent, cascadaient sur les arêtes des plaques de cuivre soudées à son bras droit et coulissaient en panaches flamboyants le long les tubes sanglés contre son dos.

Allongé contre un tas de gravas, Coil dardait des regards pétillants autour de lui. Epaule contre épaule, Stan-RJ.O s'efforçait de focaliser les lentilles de ses lunettes sur leur cible. Devant eux, la Barrière, massive et imposante, se dressait comme un rempart infranchissable.
La voix féminine a repris :

- Coil, arrête de beugler comme ça ! Les Impérieux vont t'entendre jusqu'à la Tour de Cuivre.
- Ne t'excite pas comme ça Dragée, ces panses tendues sont bien trop occupées à ripailler pour se soucier de nous.
La jeune fille s'est dressée sur les coudes, révélant son visage à la lumière du jour. Une belle frimousse d'ailleurs...même recouverte de crasse comme c'était le cas en ce moment.
- Je ne m'excite pas ! C'est toi qui...
- T'es nerveuse c'est tout. Je pourrais t'aider à te détendre si tu veux, a t-il laché avec un clin d'oeil égrillard.

Stan a filé une bourrade à son voisin de droite

- Ferme la Coil, j'essaie de calculer notre angle d'attaque.

Bon, le plan était simple. Un raid furtif et expéditif pour récupérer du matériel, des provisions et des médicaments au nez épaté et à la barbe broussailleuse des Impérieux. Le seul problème, c'était la Barrière. Ce mur de métal qui ceinturait le coeur de la ville pour protéger les bons et loyaux bourgeois.
Le coeur...encore un foutu euphémisme pour cacher la misère. Stan-RJ.O n'aimait pas les figures de style. Ce qui était officiellement (et pompeusement) reconnu comme le centre-ville était en fait la seule partie intacte de la gigantesque mégapole qu'était Oxyne avant la guerre.
Des quartiers prestigieux dégoulinant de richesse s'entassaient à l'intérieur de la Barrière. Tous sagement regoupés autour du siège du pouvoir planté au milieu comme un orgueil phallique : la Tour de Cuivre. Tout le reste n'était que tas de gravas, poutrelles tordues et pylônes défoncés. Comme de bien entendu, une infime partie de la population bedonnante et grassouillette vivait douillettement à l'intérieur tandis que le reste bataillait ferme pour arracher de quoi vivre au sol infertile. Une horde de fangeux aux yeux en soucoupe arpentaient continuellement le périmètre de sécurité imposé par la Barrière. Au sommet, un bataillon d'automates, de tourelles et de spires Tesla veillaient au bon et juste sommeil des Oxyniens.

Le regard étincelant de Stan-RJ.O s'est rivé aux sentinelles postées à intervalles réguliers. A coeur vaillant, rien d'impossible. En agissant rapidement et discrètement, ils avaient une chance de passer.
Se grattant le menton, il s'est tourné vers le soleil couchant. C'était le meilleur moment pour agir, quand les capteurs seraient aveuglés par la lumière.

- Ok les gars, faites monter les jauges...on va y aller.

Coil et Dragée ont arrêté de se prendre le bec deux minutes pour vérifier leur équipement. Poing-pression, lames de choc, Victorinnes à double barillet et autres pistolets cliquetaient et montaient en température. Stan a changé l'ampoule de son fusil à piston et rabaissé ses lunettes rondes sur ses yeux gris.

- C'est parti, et n'oubliez pas le mot d'ordre : Discrétion.
- Ok
- Compris.

Stan a attrapé un bout de miroir entre le pouce et l'index levé sa main gantée pour capter quelques miettes du couchant.

- J'espère que Pénilie est prête...
- Aucun problème, c'est une bricoleuse de génie. Elle pourrait botter le derrière d'une légion de mécas impérieux.

Comme pour confirmer cet optimisme débridé. Un grondement sourd est monté d'une pile de carcasses éventrées. Un sourire sauvage a éclairé le visage fin de Stan. Le sol s'est mis à vibrer tandis qu'un ferraillement abominable leur parvenait.

Discrétion...n'était pas au nombre des survivants de la guerre.

Pénilie a fait une entrée plutôt remarquée. Perchée au sommet d'une machine obèse, une gamine disparaissant au milieu de ses vêtements trop larges s'acharnait avec énergie sur une forêt de leviers et de manivelles. Globalement, l'assemblage de tiges et de ressorts ressemblait à une grande cage en fer puddlé en forme d'entonnoir. A son extrémité la plus large, cinq moteurs à piston trimaient pour alimenter les divers mécanismes rivés à la carcasse. A l'autre bout, un genre de tête pointue et torsadée dépassait de 6 bons mètres. Le tout se déplaçait sur d'énormes chenilles qui broyaient le terrain plutôt que de l'épouser.
Coil avait raison, un chef-d'oeuvre. La foreuse la plus furtive qu'on ait pu imaginer. Comment autant de génie pouvait être contenu dans un si petit corps ? Pénilie avait dû suçoter une bielle plutôt que son pouce.

La soirée promettait d'être mouvementée pour les Impérieux.

Capitaine Bob Shark, soldat dans l'armée Impériale depuis trente ans. Affecté au commandement d'unités restreintes, il fut diffamé suite à la perte de son unité principale et relégué au simple rang de Capitaine de la Garde, avec à ses ordres des soldats Impériaux bedonnants et mous. Acide, courageux, costaud et intelligent, il juge pourtant principalement par la force discrète et le raid rapide. Tatoué à l'excès d'écailles (une par "connard d'ennemi tué"), il voit la violence comme le seul remède à l'amollissement et considère le dialogue comme l'arme des faibles. La force, l'honneur du soldat et tout le tralala, voilà les valeurs de Bob Shark, le Capitaine de la Garde Impériale, Bob Shark.

[Hrp : booon tout le monde est arrivé ? Alors c'est parti A partir de maintenant, ça va chier !]

- Derrière la foreuse, aller, aller !

Stan-RJ.O s'est accroché à la carcasse mugissante, notant du coin de l'oeil que les deux autres faisaient de même. Il allait falloir se magner le train avant que quelqu'un ne remarque leur approche. Déjà, des fangeux se rassemblaient derrière eux. Certains venaient juste pour voir...mais d'autres flairaient la combine. Et s'il y avait une possibilité d'entrer dans la citadelle des impérieux, les premiers auraient la partie belle avant que la sécurité interne ne réagisse.

- Aller gamine ! Mets la gomme bordel !!

Coil était surexcité au point qu'il en faisait siffler les valves de son bras mécanique. Pénilie s'est retournée un instant. La pointe de son nez de musaraigne s'est froncée d'amusement et elle a gratifié l'assemblée d'un signe de l'index au niveau de sa casquette de mécano. Et c'était parti !

Manettes enclenchées en buttée, les lourdes chenilles arrachant des mottes de terres corrompues par une couleur métallique et une épaisse fumée noire crachée par l'arrière. La Barrière se rapprochait ! Cheveux aux vents, Stan gardait le regard rivé sur les sentinelles postées en haut du mur. Avec le soleil couchant, toutes les pièces de cuivre resplendissaient d'un éclat aveuglant. Chaque point de la guirlande étincelante révélait l'emplacement d'un automate, d'une batterie Tesla ou d'un autre type de défense.

C'était trop beau pour durer. Les impérieux ont fini par réagir. Un claquement sonore à retenti sur l'arrière de la machine, quelqu'un a crié. Puis un déluge électrique...dont la majeure partie a été absorbée par les montants du véhicule.
Stan a sauté à terre et ajusté sa lunette de visée. Il y avait un connard qui canardait sec de là haut. Non, un escadron de fumier en fait.

- Merde on s'est fait repérer ! Ils étaient au courant ou quoi ??

Levant son fusil, il a donné deux tours de mollette pour allonger le canon et ajusté sa cible. L'ampoule est montée en ébullition un instant et le coup est parti, fulgurant mais complètement hasardeux. Un impact sourd a soulevé une motte de terre sur le coté. Stan s'est dégagé et s'est mis à galoper vers le mur de métal. Pénilie arrivait au contact. Coil et Dragée étaient déjà là, la jeune fille grimaçait de douleur en comprimant une plaie à l'épaule.

- Regarde moi ça ! Une vérin tout neuf !! Salopé ! Foutu ! Les enculés !

Coil ne faisait pas référence à la douleur évidente de Dragée. Il a brandi un bout de son exosquelette qui lui courait sur le biceps avant de le balancer rageusement sur le sol. Stan s'est baissé lorsque la foreuse est entrée en collision avec la muraille.

Le choc s'est ressenti probablement sur plusieurs centaines de mètres ! Projetant tout le monde à terre dans un merdier mécanique. Ce n'était pas suffisant. La Barrière était amochée mais pas achevée. Pénilie n'avait pas dit son dernier mot. Son visage arborait estafilade sanglante au niveau de la pommette. Oh? elle aussi ? il n'y avait donc que Stan-RJ.O qui s'en était tiré indemne ? Ah non tiens...ce dernier a soudainement remarqué le sang qui lui gouttait de l'avant bras. Tant pis.

- Alleeeer ! Sales Impérieux prenez ça !

La gamine mécaniste s'est arcboutée sur un levier, coupant totalement la propulsion pour rediriger toute l'énergie dévastatrice de sa machine sur la pointe torsadée. Cette dernière s'est mise à tourner de plus en plus vite jusqu'à produire un sifflement assourdissant.
Avec un hurlement cuivré, la tête de la foreuse s'est enfoncée dans la muraille comme un piston dans une chambre. La lutte a duré un moment. Un des moteurs a exposé dans une gerbe d'échardes acérées, fauchant au passage un pauvre type dans le bide.

- Ils vont nous tirer comme des canettes !
- Restez contre le mur !
- Il faut dégager de là !!

Coil déchargeait convulsivement sa double Victorinne sur les hauteurs, Dragée a balancé quelque chose qui s'est accroché sur la muraille avant d'exploser dans un grand flash lumineux.
Un crissement d'agonie est monté du coté de Pénilie. Stan a fait volte face. Sous ses yeux allumés, les parois de la Barrière se sont tordues, recourbées, déchirées sur une impressionnante largeur pour finalement révéler l'intimité douillette d'Oxyne.

- La porte est ouverte ! Yaaaah !